Questions à ma mère
Maman, où étais-tu lorsque tu as appris que j'étais déjà dans ton ventre ? A quoi as-tu donc pensé ? Ta première réaction a-t'elle été de la joie ? Et la deuxième ? De la peur ...
Maman, quelles étaient donc tes pensées pendant ces longs mois où nous ne faisions qu'une seule et même personne ? Te questionnais-tu sur ta capacité d'être une bonne mère ? Sur mon sexe ? Sur ton corps qui changeait et ne serait peut-être plus jamais le même ? Sur l'accouchement et ses douleurs ? Sur le genre de personne que je deviendrais ?
Maman, qu'as-tu pensé lorsque je me suis présentée à toi pour la première fois ? Petit bébé de 6 livres et quelques avec une drôle de bosse sur la tête, effet secondaire des efforts que nous avons dû faire toutes les deux pour que je vois enfin le jour ?
Maman, qu'as-tu pensé lorsque tu as décidé de ne pas me donner le sein ? Était-ce par peur de ne pas être à la hauteur ? Parce que c'était moins compliqué ? Parce qu'ainsi, papa pourrait "faire sa part" et me donner le biberon pendant la nuit ?
Maman, qu'as-tu pensé quand tu m'as laissée à grand-maman pour aller donner le jour à ma petite soeur ? Savais-tu que notre séparation serait aussi longue ? Imaginais-tu que je pourrais en souffrir ? Que je pourrais ne pas comprendre pourquoi, tout d'un coup, celle qui me reliait à la vie s'en était allée ?
Maman, qu'as-tu pensé quand, une fois tous de retour à la maison, je n'ai pas réagi à ta présence ? Que je ne me suis pas jetté dans tes bras comme tu semblais t'y attendre ? Quand j'ai préféré accompagner papa chez grand-père ? Étais-tu vraiment surprise ? Comment pouvais-tu exiger qu'une fillette de 2 ans comprenne pourquoi sa mère était partie pendant 1 mois puis qu'elle lui était soudain rendue ? Non, il semble d'après ce que l'on m'a raconté que je n'ai pas compris. J'ai suivi papa parce que, lui, il ne m'avait pas abandonnée. Était-ce un présage ?
Maman, à quoi pensais-tu lorsque tu me fermais ton visage et ton coeur lorsque je décevais tes attentes ? Lorsque tu répondais par du mépris à mes faibles tentatives de prendre de l'autonomie et de réaliser mes expériences ? Lorsque tu n'étais que froideur ? As-tu imaginé la douleur que ces attitudes provoquaient en moi ? As-tu imaginé que dans ces moments, je me sentais vraiment toute seule sur cette Terre ? Que j'aurais fait n'importe quoi pour ne pas vivre cela ? J'ai fait n'importe quoi: je me suis progressivement détachée de moi-même, c'était moins douloureux, sur le moment, que l'idée que tu m'abandonnes encore une fois. J'ai créé par le fait même un vide énorme à l'intérieur de moi. Un vide, qu'encore aujourd'hui, j'essaie de combler.
Maman, qu'as-tu pensé lorsque le caillou dans ma chaussure est apparu, lorsqu'il est devenu tellement douloureux que j'ai cessé de marcher ? Après les premières mois de traitement infructueux, as-tu imaginé combien je pouvais me sentir perdue, paniquée et découragée ? Qu'as-tu pensé lorsque j'ai, pour les premières fois, décider d'arrêter d'avance et que je me suis roulée dans les champs qui bordent le route de la vie ? As-tu essayé d'imaginer les raisons qui motivaient mes actes au lieu d'essayer de les contraindre en resserant ton contrôle ?
Maman, que penses-tu aujourd'hui lorsque tu constates que je ne parle pas ? que j'ai l'air bête ou triste ? Peux-tu imaginer que je vis du stress au travail ? Que j'ai peur de subir les effets pervers du caillou dans ma chaussure qui ne m'a pas complètement quitté ? Que j'ai souvent l'impression de n'avoir aucune raison valable de vivre ? Ne te demandes-tu pas pourquoi il n'y a encore jamais eu personne dans ma vie ? Pourquoi j'afffirme haut et fort que je ne désire pas d'enfant ?
Maman, peut-tu t'imaginer que j'ai encore besoin d'une mère ? Que j'en cherche encore une ? Que je dépense une fortune à essayer de faire en sorte que le vide à l'intérieur de moi finisse par se remplir ? Et tu sais quoi, maman, je ne pense pas que tous les efforts que j'y met me coûteront plus cher que ce que j'ai déjà eu à payer .